Et si on essayait de se défendre ensemble ?

Ce texte a été initalement publié le 7 janvier sur le site paris-luttes.info sous le titre « S’organiser pour se défendre ensemble »

Suite aux constats posés par l’article qui a été publié le 23 décembre sur Paris-luttes.info et qui titre « Et si on essayait d’être à la hauteur ? », la Défense collective Paris Banlieue souhaite rebondir sur certaines idées qui font écho à des questions que nous travaillons, et en approfondir d’autres depuis nos perspectives politiques.

Un texte de la Défense Collective Paris Banlieue.

Suite aux constats posés par l’article qui a été publié le 23 décembre sur Paris-luttes.info et qui titre « Et si on essayait d’être à la hauteur ? », la Défense collective Paris Banlieue souhaite rebondir sur certaines idées qui font écho à des questions que nous travaillons, et en approfondir d’autres depuis nos perspectives politiques.
Avant de commencer, nous souhaitons à nos camarades [1] gagné.es par le spleen militant récurrent qu’ils gardent l’espoir et la rage. Beaucoup de choses sont à construire, mais nous y arriverons !

Construire l’autonomie : s’organiser, au-delà de nos cercles d’amis, pour des objectifs communs.

Nous sommes d’accord que la composante autonome, aussi diverse et hétéroclite soit-elle, est encore loin de pouvoir établir ses propres stratégies politiques, ce qui lui permettrait de devenir actrice à part entière du mouvement social. C’est-à-dire, en particulier, une actrice qui ne serait plus dépendante des centrales syndicales et serait en capacité de poser son propre agenda de mobilisation. Pour en arriver là, nous pensons que nous pouvons procéder par étapes intermédiaires que l’on va tenter de détailler.

Ça fait quelques temps que les groupes organisés se font rares (ou alors discrets) sur Paris. Donc pour commencer, ça peut paraître banal voire idiot, mais n’hésitons pas à monter des collectifs. Selon nous, « monter un groupe » c’est avant tout se retrouver sur des objectifs communs, une volonté partagée de répondre à un besoin politique, et d’y répondre à partir d’une certaine conception de l’intervention. Ça peut être aussi identifier un ennemi, et mettre en place une stratégie pour l’affronter et le mettre à mal.
S’il nous parait important de développer cette organisation de groupes plutôt que de privilégier des mobilisations individuelles sur les manifs ou les points de blocages, c’est parce que la répression s’abat plus facilement sur des individus isolés que sur des groupes solidaires, et que la structure de groupe permet de diffuser plus efficacement les savoirs et savoirs-faire, donc de se protéger de la police et de la justice.

Dans cette optique d’organisation et de structuration, trois éléments nous semblent importants à souligner.
D’abord, peu importe s’il existe déjà un groupe qui semble faire la même chose que ce qu’on veut faire. Il est probable que notre approche soit différente et complémentaire de celles des autres groupes. Se reconnaître et se rencontrer peut nous permettre d’avancer ensemble sur les questions qu’on travaille. Et surtout, il serait illusoire de penser qu’un seul groupe pourrait répondre à lui seul à un besoin politique, dans un territoire aussi étendu et animé que le nôtre. En ce qui nous concerne, nous souhaitons vivement connaître ce moment où de nombreux groupes qui partagent de mêmes objectifs fleuriront, ça sera justement le signe de notre progression. Nous pensons donc qu’il est bénéfique d’encourager la camaraderie au delà de nos collectifs, c’est-à-dire l’entraide entre groupes ou individus qui se retrouvent sur des bases politiques communes larges.

Ensuite, il règne dans la capitale une culture de la screditude parfois excessive qui nous empêche de gagner en puissance. Par la crainte de la répression, l’État nous pousse à nous enfermer dans la clandestinité pour nous y piéger comme des lapins. Il nous paraît important de sortir de cet engrenage dans lequel nous nous auto-invisibilisons, de démocratiser nos pratiques pour qu’elles se diffusent, et les rendre publiques en est une manière. Il nous apparaît nécessaire, une fois nos objectifs de groupe définis, de casser une certaine culture de l’entre-amis, dans les limites des risques que l’on prend. Briser l’isolement de nos camarades qui cherchent à s’organiser et se heurtent à l’affinitaire ou à une sorte de vide politique, à notre sens, c’est déjà commencer la politique. Ce n’est en rien perdre en efficacité. Rompre avec cette barrière qui fait qu’on doit gratter l’amitié pour enfin s’organiser, c’est à la fois tenter de se faire confiance, gagner en force, et inclure les personnes de fait exclues des cercles de sociabilité politiques pour ce qu’elles sont. C’est rompre avec des logiques d’autorité en s’ouvrant à celleux qui, dans des contextes affinitaires, auraient des difficultés à s’investir dans la lutte, afin qu’ielles puissent s’organiser au même titre que les autres.

Enfin, permettre à toustes de nous rejoindre ce n’est pas ignorer les risques répressifs, mais adapter les précautions au niveau de risque que l’on veut prendre. Il est impératif de nous protéger les un.es les autres en nous refilant des astuces de défense collective contre les flics et contre la justice qui soient valables pour toustes. Par ailleurs, multiplier des groupes aux objectifs similaires, c’est diluer les responsabilités, tant sur le plan de la charge de travail que sur le plan judiciaire, bref c’est déja commencer à lutter contre l’épuisement individuel et surtout contre la repression.

Repenser et réapprendre la rue : contre la peur, défense collective

Les manifs sont des moments riches, d’élans collectifs, d’euphories ou de rages, qui peuvent avoir une portée stratégique. La question à se poser, c’est celle de l’objectif à atteindre : la manif, même sauvage, le débordement, est un outil qu’il est possible de penser collectivement pour réaliser nos objectifs, selon ce qui nous semble necessaire pour le mouvement. Nous ne pouvons pas l’abandonner. Bien sûr, les blocages et les piquets de grève sont un autre moment propice à nos interventions, sur lesquels nous pouvons essayer, là aussi, de réaliser des objectifs définis à l’avance pour ne plus être réduits à un rôle passif. À la proposition de délaisser la rue à cause de la répression, nous préférons réapprendre à nous organiser en conséquence. Selon nous, la répression s’articule autour de trois élements liés entre eux : la peur et la guerre psychologique, la violence physique, les arrestations et les conséquences juridiques.

Pour combattre la peur de la répression, nous pensons qu’il est possible de l’aborder de façon rationnelle : les flics ne savent pas tout, ne sont ni omniscients, ni tout-puissants. Une forme de guerre psychologique opère depuis un petit moment, sur la base d’une crainte du renseignement, de chiffres policiers et d’annonces de dispositifs monstrueux et démobilisateurs (« la moitié des forces de police déployées sur la capitale », « 10 000 policiers mobilisés sur une journée de mobilisation ») mais souvent mensongers, ou encore de stratégie de maintien de l’ordre spécifiques (corps à corps, à distance). On peut aussi évoquer l’apparition récente de nouvelles unitées de flics dont la seule présence semble nous démoraliser. Nous pouvons apprendre à ne pas nous décourager de tenter quoi que ce soit sur la base des annonces de la préfecture. Le collectif prend tout son sens pour combattre la peur et le stress de la répression, grâce aux partages d’expériences et de savoir qu’il permet : être solidaires entre nous et prévoir l’antirep avant qu’elle n’intervienne dans nos vies, former des binômes de peurs et d’envies similaires ou au contraire des binômes d’apprentissage, permettre à toustes de réapprendre à se confronter à nos limites tout en instaurant des gardes-fous organisationnels qui permettent que nous nous sentions toustes bien dans la rue.

Ensuite, pour repenser ou retrouver notre capacité d’intervention en manif, nous pensons qu’il est incontournable d’apprendre à se défendre ensemble. Quand le dispositif nous dresse et nous encadre, nous sommes toustes d’accord pour dire que le déborder est essentiel. C’est difficile, mais nous pouvons l’organiser.
D’abord, il faut nous protéger contre les armes de la police, en démocratisant par tous les moyens le matériel de protection. Cela nous permettra de diminuer les risques de blessures graves, donc de retrouver une capacité d’intervention, tout en diminuant les risques juridiques pour les personnes qui se font arrêter avec ces éléments de protection.
Ensuite, nous pouvons transformer les situations de panique et d’instabilité qui produisent le contexte parfait pour les interpellations en des mouvements de foule solidaires et tactiques, par la parole, par les gestes. Nous avons souvent du mal à nous retrouver dans la masse des cortèges parisiens, donnons-nous de la visibilité, sans pour autant tomber dans le piège de l’uniforme ou de l’assignation à une place spécifique. Il faut peut-être que parfois nous soyons capables de quitter l’avant du cortège pour retrouver un élan stratégique ailleurs. Nous pouvons aussi élaborer des stragégies collectives créatives pour brouiller nos identifications, qui constituent tout un axe de la guerre judiciaire.

Essayons de réaliser nos objectifs, même s’ils ne sont pas immédiatement aussi poussés qu’on aimerait. On peut, par exemple, commencer par essayer de rester ensemble tout le long de la manif, de combattre nos peurs et d’y aller progressivement en retrouvant confiance en nous, de ne pas céder à la dispersion prématurée ou instantanée. Nous devons apprendre à gérer la violence physique de la police collectivement, à l’absorber et à l’empêcher toustes ensemble, sans culpabilisation pour le care que ça implique, ni négation virile de la souffrance, par exemple avec des moments de débrief collectif après certains moments difficiles ou violents. Tout cela pour permettre de démocratiser le plus possible la participation à la défense des cortèges et blocages du mouvement.

Enfin, l’arrestation et le passage par le tribunal sont devenus des risques inhérents à toute intervention dans la rue. Là encore, il est possible non seulement de limiter les arrestations, mais de s’y préparer collectivement. Se former et former les autres au déroulement d’une garde-à-vue et d’un procès, par voie orale ou par écrit, peut nous permettre de limiter très fortement l’impact de la répression sur nos vies. Se former peut nous permettre également de lutter contre la dissociation entre bon.nes et mauvais.es manifestant.es, contre la poukaverie et la justice fondée sur le profil social, en appliquant des stratégies collectives pour briser l’isolement et les stratégies policières et judiciaires. Encore une fois, n’attendons pas notre arrestation pour nous préoccuper d’antirépression, défendons-nous ensemble, en amont de la rue, dans la rue, et jusqu’au tribunal.

La Défense collective Paris-Banlieue.

Pour nous contacter : defensecollective-pb@riseup.net

Notes

[1Si nous utilisons le terme de camarade, plutôt que ceux d’ami-e ou de copain-e plus souvent employés, c’est parce que nous pensons que nous n’avons pas besoin d’être forcément ami-es pour lutter ensemble 🙂

Ce contenu a été publié dans ANALYSES ET REFLEXIONS, General, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.