Lundi 28 septembre, deux jours après le début de l’occupation « implantons la résistance », contre la gentrification du quartier de la place Sainte Marthe et pour une écologie radicale à Paris, cinq personnes se sont faites arrêter.
L’occupation de la place Sainte Marthe avait pour objectif d’instaurer un nouveau rapport de force en faveur de la lutte contre la gentrification qui a lieu dans le quartier, déjà impulsée par des habitant.es organisé.es depuis plusieurs années. Le quartier de la place Sainte Marthe, qui est une des premières cités ouvrières de Paris, est aujourd’hui à la merci des projets de transformation urbaine portés par deux rapaces de l’investissement immobilier : Nexity et Edmond Coignet. Ces deux entreprises sont en effet devenues actionnaires majoritaires en 2019 de la Société Immoblière de Normandie (SIN), propriétaire historique de 120 lots dans le quartier.
Parmi ces lots, 80 sont des locaux au rez-de-chaussée qui ont permis jusqu’à très récemment, grâce à des loyers 4 fois en dessous du prix du marché, d’abriter des activités d’artisanat de plus en plus rares dans le centre parisien. Les projets des nouveaux propriétaires sont tout autres. Ces baux avantageux ne sont pas renouvelés, et par conséquent des centaines de m² se retrouvent vides tandis que leurs loyers grimpent : aujourd’hui, plus d’une quinzaine de locaux sont innoccupés alors que les AIRBNB et autres bars branchés fleurissent. Comme toujours dans des processus avancés de gentrification, les habitant-es de ce quartier populaire voient les loyers exploser. Les galérien.nes, les sans-abris, les sans-papiers, les révolté.es qui squattent régulièrement sur la place sont peu à peu remplacé.es par une population aisée et pacifiée.
C’est en partie pour s’opposer à ce projet de ville rentable et mortifère que plusieurs locaux appartenant à la SIN ont été occupés durant ce week end de luttes, mais aussi pour disposer d’un espace d’organisation autonome dans Paris, ce qui manque souvent.
Lundi 28 septembre, des représentant.es de la société immobilière Edmond Coignet se sont rendus dans le quartier pour constater les locaux occupés. Face à leur attitude défensive, une assemblée s’est mise en place sur la place Sainte Marthe, avec musique, banderoles et slogans pour défendre les lieux occupés pendant le week-end. Plusieurs hommes, sûrement alertés par les promoteurs et qui ont été reconnus plus tard devant le comico comme des BACeux, se sont approchés d’un des locaux puis ont tenté d’interpeller un de nos camarades. Une vingtaine de flics de différents comicos ont ensuite débarqué et des arrestations ont eu lieu. Dans leurs dépositions, les flics racontent qu’entre 50 et 60 personnes ont tenté de désarrêter le camarade et ont défendu le local occupé, où le collectif d’occupant-es a depuis développé des activités de solidarité et d’entraide au sein du quartier. 5 personnes ont été arrêtées et plusieurs flics se sont fait prescrire des ITT, dont un 15 jours d’ITT.
Nous pensons qu’il est important de réouvrir des espaces d’organisation autonomes et de les maintenir. Nous avons besoin de lieux pour nous réunir, discuter, nous organiser, qui ne soient pas nos appartements personnels quand nous avons la chance d’en avoir. Des lieux pour faire nos banderoles, pour essayer de réinventer des relations sociales horizontales et échanger sur les systèmes de domination qui nous touchent. Des lieux pour se sentir bien. Nous avons le sentiment que ces espaces autonomes disparaissent progressivement de la région parisienne, et nous souhaitons contrer l’idée collectivement partagée qu’il devient impossible de squatter. Ces lieux ne nous seront pas donnés, nous devons les prendre et essayer de les défendre quand ils sont attaqués par les flics ou la justice.
Pendant la garde-à-vue des cinq camarades arrêté-es, des compagnon.nes à l’extérieur n’ont pas laissé le cours des choses se dérouler tranquillement et ont tenté de briser leur isolement : une petite manif sauvage et plusieurs rassemblements devant le comico où iels étaient enfermé.es ont exprimé notre solidarité et notre rage et ont fait pression sur les flics qui ont retardé le défèrement au tribunal car ils craignaient des perturbations. On pouvait lire sur les banderoles « On n’entre pas en lutte sans effraction », « Demain s’ouvre au pied de biche » ou encore « Joyeux GAViversaire ». Les cris et les chants de l’extérieur sont parvenus jusqu’aux oreilles des personnes enfermées, ce qui leur a fait du bien et a réussi à casser la monotonie des cellules et des interrogatoires. Les co-détenu-es aussi semblaient content-es d’avoir entendu la solidarité de l’extérieur.
Appel à soutien pour les camarades en GAV
Un autre rassemblement s’est tenu devant le Tribunal de Grande Instance, pendant leur passage devant le juge des libertés et de la détention, pour montrer qu’iels n’étaient pas isolé.es et attendre une potentielle libération. Après une garde-à-vue de 50h et 16h de dépôt au TGI de Paris, les 5 personnes sont ressorties. Deux d’entre elles ont écopés d’un rappel à la loi, pratique de plus en plus courante permettant d’imposer sans jugement des mesures arbitraires empêchant de s’organiser comme des interdictions de territoires ou de manifs, mais qui ne figurent ni au casier, ni n’engendrent de réelles suites ou menaces judiciaires. Les trois autres sortent avec une convocation pour un procès qui devait avoir lieu le 27 Novembre 2020 pour « violences en réunion sur personnes dépositaires de l’autorité publique » et aussi pour « refus de signalétique ». Ces 3 personnes ont un contrôle judiciaire avec interdiction d’entrer en contact, le procureur justifiant cela au motif qu’elles avaient gardé le silence pendant leur garde-à-vue. Finalement, lors de l’audience, un report sera obtenu. Le procès aura finalement lieu le 24 février 2021.
L’interdiction d’entrer en contact vise à briser les liens d’affinité et/ou d’organisation entre les inculpé.es, d’instaurer une pression psychologique nuisible au quotidien, et contribue à entraver toute organisation d’une défense collective (ou à minima concertée) efficace au tribunal. De façon générale, comme face à toute autre mesure de contrôle, cela vaudra toujours le coup de le contourner, de l’attaquer et de continuer à s’organiser malgré tout. Les procès et les contrôles judiciaires ont eu l’effet inverse de celui escompté par la justice et ont renforcé la détermination collective. Ils n’ont pas non plus mis fin à la lutte contre la gentrification dans le quartier de Ste Marthe.
Le « refus de signalétique », second motif qui leur est reproché, renvoie au refus de se laisser prendre en photo sous toutes les coutures, de donner ses empreintes et de se laisser mesurer par les flics pendant la garde-à-vue. Il est possible et souhaitable de refuser d’y collaborer, même si cela constitue un délit. Non seulement pour des raisons pratiques, pour éviter de nous retrouver inculpé.es dans le futur sur la base de ces informations. Mais aussi pour des raisons politiques : nous nous opposons au fichage policier. Le fichage et le renseignement sont utilisés dans la construction des enquêtes policières. Ces enquêtes aboutissent à des montages juridiques établissant des liens, souvent fictifs, entre compagnon.nes, ce qui permet leur inculpation, par exemple sous le motifs d’« association de malfaiteurs » comme à Toulouse ou en Italie, ou de « violence en réunion », et servent de terreau pour réprimer et emprisonner celles et ceux qui se soulèvent contre l’État et toutes les formes de pouvoir. Le délit de refus de signalétique, s’il est de plus en plus poursuivi même seul ces derniers temps, reste assez léger, la plupart du temps il est puni d’une amende de moins de 300 euros. Cela vaudra toujours le coup de privilégier une stratégie de long terme en refusant le fichage !
Nous ne souhaitons pas laisser la préparation de la défense entre les seules mains des avocat-es et le contrôle judiciaire ne pourra pas empêcher une approche collective de la préparation de la défense. Nous continuerons à communiquer sur le procès et d’éventuelles actions de solidarité. A travers ces textes nous espérons inciter d’autres personnes à communiquer sur leur procès pour ne pas rester isolé.e. Partageons nos pratiques de défense face à la police et la justice !
Lorque des compagnon-ne passent en procès, le discours officiel est ambigu. Car d’un côté il voudrait faire croire qu’il s’agit simplement de personnes ayant enfreint des lois individuellement. En effet, la justice a pour principle d’individualiser les peines, d’isoler les faits des contextes sociaux ou politiques pour n’en conserver que le profil social des individus qu’elle doit juger. D’un autre côté, la justice crée de toute pièce des groupes, des « associations de malfaiteurs », des relations entre des individu.es et criminalise des actes politiques en tant que tels, même de basse intensité pour mieux pouvoir les réprimer sévèrement par la suite.
Le système pénal prétend passer sous jugement des faits de manière impartiale. Nous pensons au contraire qu’il est un acteur de la guerre sociale, que l’objectif des institutions actuelles, la justice, comme la police, est de briser les formes d’organisation et les liens que nous tissons entre nous pour lutter contre les pouvoirs qui nous oppriment. Lorsque des compagnon-nes sont attaqués par la police et la justice, c’est l’ensemble du mouvement social qui est attaqué. Et c’est l’ensemble des composantes en lutte qui devraient y répondre et être solidaires. De la même façon, nos comportements individuels face à la police et la justice impliquent en fait l’ensemble du mouvement social. Refuser collectivement de se soumettre à l’individualisation de la justice, c’est contrer le profilage utilisé par les juges pour condamner plus lourdement celleux qui n’ont pas de travail ou de logement. Refuser collectivement de donner ses empreintes, c’est empêcher la justice de condamner les rares personnes qui refusent actuellement de s’y soumettre.
Défendons-nous collectivement de manière autonome et horizontale, et refusons l’isolement !